9 juil. 2012

Fight Club






La première règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club. Vous avez passé un concours assez compétitif et vous en êtes réduite à faire le vigile; vous ne tenez pas à ce que ça se sache, n’est-ce pas ?

La deuxième règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club. L’accumulation de rapports faisant état de bagarres dans vos cours pourrait vous porter préjudice aux yeux de l’administration.

Troisième règle du Fight Club : quelqu’un invective ou insulte, on désamorce la situation par un trait d’humour ; quelqu’un crie, on se lève pour prévenir tout affrontement ; quelqu’un se lève, on se précipite sur les lieux pour le calmer ; quelqu’un d’autre se lève, on s’interpose, au risque de se prendre des coups [note technique : il est important de  tirer de toutes ses forces sur la main d’un des combattants pour limiter les dégâts que pourrait provoquer un éventuel assaut] ; quelqu’un donne un premier coup, on crie pour sortir les élèves-spectateurs de la torpeur et les inciter à séparer les deux combattants; quelqu’un s’écroule ou n’en peut plus, le combat est terminé : on appelle la Vie Scolaire. Echec de la médiation. Rapport en route. Administration informée.

Quatrième règle : tout individu étant considéré comme un élève peut participer au combat : les messieurs se contenteront généralement d’une joute verbale qu’ils concluront par un « Nachave ! Ta mère @ ?& » [formule qui contrairement à ce qu’on pourrait croire a valeur d’exutoire; méfiez-vous toutefois des statistiques] ; les demoiselles étant plus féroces, préparez-vous à piquer un sprint pour intervenir dans une bagarre générale impliquant une trentaine d’individus et au cours de laquelle une de vos élèves se fera tirer les cheveux et donner des coups au sol. Méfiez-vous tout de même de ces messieurs qui ont la fâcheuse habitude de traiter ces demoiselles de péripatéticiennes ou de leur tirer les cheveux ou encore de leur donner des gifles . Le sexe n’a pas d’importance. Seule la rage de vaincre compte.

Cinquième règle : un seul combat à la fois, messieurs-dames ; l’Education Nationale étant en sous-effectif, il est impossible de poster des vigiles partout et la Vie Scolaire risque de débarquer après la bataille, voire de ne pas se déplacer du tout : « ils sont débordés ».

Sixième règle : pas de chemises, ni de chaussures. Surtout les chaussures : vous risquez de les perdre en pleine rixe. Et comme vous êtes prof mais pas que, ce détail compte.

Septième règle : les combats continueront aussi longtemps que nécessaire. Les élèves se menaceront et même mises en quarantaine dans une salle voisine, les demoiselles s’évertueront à insulter tous les ascendants de leur assaillant et à égrener tous les mots grossiers que leurs 500 mots de vocabulaire comptent. Ne vous fiez pas à la robe rose néon. C’est un leurre.
Les bagarres pourront également reprendre une fois le portail franchi. Spectacle garanti : les frères, sœurs, cousins du quartier seront de la partie. Il est donc impératif que vous ne suiviez pas les élèves après une bagarre même pour éviter qu’un « drame » se produise : vous pourriez recevoir un crachat dans le dos.

Et huitième et dernière règle : si c’est votre première année au Fight Club, vous devez vous battre ! Les membres du club sont sous votre responsabilité: un oeil crevé, une commotion, c'est VOUS qui prenez. 

Bienvenue au Fight Club. 

6 juil. 2012

Paparazzi (I)






J'intitule cet article "Paparazzi (I)" parce que s'il est une chose qui agace la plupart des profs que je fréquente, c'est bien de croiser un élève alors qu'il est en civil. Ce qui est encore plus agaçant, c'est la réaction de ces mêmes élèves. Dans l'esprit d'un élève, un prof n'a pas de vie en dehors de l'établissement dans lequel il exerce. Il ne mange pas, ne rit pas aux éclats et ne fait pas de shopping. Mais il arrive aussi que les parents s'en mêlent.


Je m'explique.


Vos vacances (bien méritées, vous en conviendrez) viennent à peine de commencer. Vous êtes prof, mais pas que, alors vous faites du shopping en civil avec votre mère: short, headband et tout le toutim (mais oui, vous êtes comme ça!). Après avoir croisé quelques élèves çà et là (rien d'inhabituel...), vous tombez sur une mère d'élève - que vous appréciez beaucoup - et sa fille (l'une de ces élèves qui à eux seuls vous donnaient l'envie de vous lever pour aller enseigner). La mère, très expansive, vous salue de la main. Sourire de votre part. Cordial, franc, appuyé. Vous pensez en rester la? Non. Voilà qu'elle se dirige vers vous à grandes enjambées, talonnée par sa fille. Échange cordial, compliments sur l'excellente année de la demoiselle après que la maman (toujours convaincue que c'était votre première année) ait lâché: "J'ai dit à ma fille 'ta prof on dirait une étudiante'" (Meuh oui!) Et là, comme par magie, un retournement de situation inexplicable s'opère: "C'est votre maman?" Un long échange maternel s'ensuit sur "ce beau métier", sur vous... Paf! Vous voilà projetée 15 ans en arrière, quand votre maman croisait une autre maman en ville et qu'elles parlaient de vous alors que vous vous teniez là, les bras ballants, le sourire niais, l'air emprunté ...! Vous ne vous êtes jamais sentie aussi proche de votre élève.


Il arrive aussi qu'en sortant des cours, vous ayez une terrible envie de mini jupe noire (vous êtes comme ça, je vous dis!) Vous décidez donc de vous arrêter dans un magasin aux prix abordables... Tenez, Berschka par exemple!Votre intuition était bonne: vous trouvez exactement ce qu'il vous fallait. Quoique, elle semble un tantinet trop courte. L'essayer serait une perte de temps. Vous vous mettez tout de même dans la file d'attente des cabines. Vous avez du mal à prendre des décisions, même pour les choses les plus anodines de votre existence. Tenez! Un miroir! Vous posez la jupe sur vous pour en vérifier la longueur: tête penchée, pieds en-dedans, minauderies pour en tester l'effet sur votre silhouette. On vous observe. Un homme? Ici? Dans la file d'attente pour les femmes? Vous levez les yeux pour lui signifier que son attitude est tout à fait scandaleuse et son regard insistant déplacé. Vous n'aurez pas le temps d'armer vos yeux de tout le mépris nécessaire pour ce faire: un visage familer se dessine à quelques centimètres  au-dessusde vous, celui non pas d'un homme mais d'un garçonnet de 3ème qui a poussé un peu trop vite; la figure espiègle de Jeremy qui vous toise et lâche:


_ Bonjour, Madame! Vous allez bien?

Vous vous ressaisissez, la prof qui sommeille en vous reprend le dessus.


_ Jeremy! Qu'est-ce que tu fais là?

_ Ben comme vous, Madame, j'achète des vêtements!

Il a toujours le mot pour rire, Jérémy, le retourneur de chaises en série.

_ Ah oui... mais, Jeremy, ici ce sont les cabines d'essayage pour les femmes. Tu n'as pas le droit de venir ici. Il faut que tu descendes.

Bien joué! Le seul hic (et vous le savez bien) c'est que vous n'êtes plus en cours et que les prérogatives de Jérémy (déjà bien nombreuses en classe) n'ont plus de limite une fois le portail du collège franchi.

_ Mais si, Madame, j'ai le droit! Je viens toujours ici!

Pause.


Réflexion.

Vous décidez d'en finir. "Bon, eh bien bon weekend Jeremy!" Sourire crispé. Vous remettez l'article en place. Vous évitez soigneusement le regard de l'intrus.

A la faveur d'un long weekend, vous parviendrez presque à oublier l'incident mais le sourire évocateur de Jérémy alors qu'il arrivera en retard le mardi, vous renverra à la dure condition d'enseignant...

5 juil. 2012

Hater





Dans un précédent article, je vous promettais de vous brosser le portrait de La Sorcière de Noire-Neige et les Septs Nains, que je n'avais pas encore rencontrée mais dont j'aurais préféré ignorer l'existence. Hélas, la rencontre a eu lieu et loin d'être une légende, La Cruelle Sorcière existe bel et bien. Pour mystifier son monde, elle a choisi d'aller se perdre en une lointaine contrée dont on dit qu'elle n'est peuplée que de gentils nains qui oeuvrent sans relâche pour sauver le monde: la ZEP. C'est qu'elle est futée la Vilaine Sorcière! Qui irait donc la chercher par delà les enceintes de la ville?



Je vous rappelle que je me complaisais alors dans la posture de l'observateur, celui qui commente mais ne prend pas part aux nombreux drames qui secouent le merveilleux royaume de l'Education Nationale. Mais la redoutable Sorcière aux longues griffes manucurées m'y a précipitée sans même que je puisse lui résister. Le charme a été rompu! Fini le conte de fées!


Cette sorcière, je la déteste tellement, que lorsque je la croisais dans les couloirs j’avais envie de… @ ? & % . Non, restons civils. Je la déteste tellement que lorsque je la croisais dans le couloir j’avais envie de la provoquer en duel afin qu’on en découse dans la cour et qu’on en finisse une fois pour toutes : elle, transpercée par ma fine lame, la langue pendante, l’œil vitreux. Oh ! Voilà que ça recommence !

Mais pourquoi tant de haine ?! Je sens une pointe de réprobation dans la manière dont vous déchiffrez ces mots. Vous vous dites que je l’ai bien mérité hein ! Eh bien détrompez-vous ! Cette collègue a été la collègue la plus malveillante, n’ayons pas peur des mots, la plus méchante qu’il m’ait été donné de rencontrer.

Je suis sûre que vous connaissez des personnes de cet acabit : vous savez celles qui veulent toujours parler plus fort que les autres ; celles qui occupent l’espace en permanence ; qui rayonnent par leur vulgarité ; dont l’incompétence n’est plus à prouver ; qui jouent les fausses rebelles pour attirer l’attention sur elles ; qui passent d’un extrême à l’autre en moins de temps qu’il faut pour se retourner quand on écrit au tableau et qu’on sent une agitation inhabituelle dans son dos ; qui, en parlant de  dos, cassent du sucre sur le vôtre dès que vous l’avez tourné, sans raison, par pur plaisir. Mais oui ! Vous en connaissez des personnes comme ça. On en connaît tous ! Dans la mythologie urbaine, on appelle ce genre de personnage « hater ».

Il s’avère que cet être de peu de classe enseigne la même matière que moi. Et pour ce qui est de l’incompétence elle en connait un rayon : insultes à élève, lacunes avérées de ceux qui sont passés entre ses mains, fautes d’orthographe inimaginables… Ce hater-là, comme tous les haters en somme, s’est senti menacé par ma personne dès le début de l’année et s’est donné pour mission de me traquer et de me faire craquer. Comme vous le savez, j’étais en Zone Sensible. Et en plus de la donnée « élèves atypiques » (euphémisme quand tu nous tiens !) et de la donnée « parents en colère », il a fallu que je compose avec la nature caractérielle de ce détestable personnage dont la jalousie maladive et l’obsession incurable ont pris plus d’importance à mes yeux que les nombreux problèmes de discipline de mes élèves. Comme si j’avais intégré l’Education Nationale pour retrouver l’ambiance cat-fight des bureaux : car Madame tenait régulièrement en salle des profs des conférences de presse à mon sujet à l’occasion desquelles elle débriefait mes cours. Elle intervenait dans ces cours pour châtier mes élèves, comme si la vingtaine de charmants bambins qu’elle avait à se mettre sous la dent ne suffisait pas à satisfaire son appétit d’ogre. Et lorsque je lui demandais d’arrêter, elle montait sur ses grands chevaux et criait au scandale. Enseigner c’est aussi être le chef dans sa classe (et tous les cinq ans recevoir la visite d’un gentil Monsieur qui vient vous dire que c’est bien mais que ça pourrait être mieux). Eh bien, je n’étais plus le chef : je me sentais épiée en permanence, tous mes faits et gestes étaient calculés avec minutie pour que la conférence de presse qui aurait lieu deux étages plus bas soit la plus brève possible.

Je vous le dis, il y a bel et bien des haters dans l’Education Nationale, des personnes dont on se demande comment elles ont obtenu leur concours (« Incorrect, ça prend un ‘r’ ? ») et qui le savent tellement qu’elles déversent leur haine sur tous ceux qui leur rappellent à quel point elles sont nulles.

C’est ainsi que s’achève mon émouvant hommage à celle qui a été mon bourreau pendant 8 mois, la chef de file des haters de l’Education Nationale, un gang dont j’espère qu’on saura juguler la prolifération. A coup d’arrêts maladie par excès de pression (mon mépris, l’indignation des autres collègues et de certains parents), on devrait pouvoir y arriver ! Comme quoi, il y a une justice ; même dans l’Education Nationale ! Et comme le dirait un de mes disciples : « Elle s’est fait maraver, la paille [sic] »
O_O

Et vous donc? Avez-vous déjà eu affaire à des haters dans le milieu du travail (ou ailleurs)? Dites-moi tout!