6 juil. 2012

Paparazzi (I)






J'intitule cet article "Paparazzi (I)" parce que s'il est une chose qui agace la plupart des profs que je fréquente, c'est bien de croiser un élève alors qu'il est en civil. Ce qui est encore plus agaçant, c'est la réaction de ces mêmes élèves. Dans l'esprit d'un élève, un prof n'a pas de vie en dehors de l'établissement dans lequel il exerce. Il ne mange pas, ne rit pas aux éclats et ne fait pas de shopping. Mais il arrive aussi que les parents s'en mêlent.


Je m'explique.


Vos vacances (bien méritées, vous en conviendrez) viennent à peine de commencer. Vous êtes prof, mais pas que, alors vous faites du shopping en civil avec votre mère: short, headband et tout le toutim (mais oui, vous êtes comme ça!). Après avoir croisé quelques élèves çà et là (rien d'inhabituel...), vous tombez sur une mère d'élève - que vous appréciez beaucoup - et sa fille (l'une de ces élèves qui à eux seuls vous donnaient l'envie de vous lever pour aller enseigner). La mère, très expansive, vous salue de la main. Sourire de votre part. Cordial, franc, appuyé. Vous pensez en rester la? Non. Voilà qu'elle se dirige vers vous à grandes enjambées, talonnée par sa fille. Échange cordial, compliments sur l'excellente année de la demoiselle après que la maman (toujours convaincue que c'était votre première année) ait lâché: "J'ai dit à ma fille 'ta prof on dirait une étudiante'" (Meuh oui!) Et là, comme par magie, un retournement de situation inexplicable s'opère: "C'est votre maman?" Un long échange maternel s'ensuit sur "ce beau métier", sur vous... Paf! Vous voilà projetée 15 ans en arrière, quand votre maman croisait une autre maman en ville et qu'elles parlaient de vous alors que vous vous teniez là, les bras ballants, le sourire niais, l'air emprunté ...! Vous ne vous êtes jamais sentie aussi proche de votre élève.


Il arrive aussi qu'en sortant des cours, vous ayez une terrible envie de mini jupe noire (vous êtes comme ça, je vous dis!) Vous décidez donc de vous arrêter dans un magasin aux prix abordables... Tenez, Berschka par exemple!Votre intuition était bonne: vous trouvez exactement ce qu'il vous fallait. Quoique, elle semble un tantinet trop courte. L'essayer serait une perte de temps. Vous vous mettez tout de même dans la file d'attente des cabines. Vous avez du mal à prendre des décisions, même pour les choses les plus anodines de votre existence. Tenez! Un miroir! Vous posez la jupe sur vous pour en vérifier la longueur: tête penchée, pieds en-dedans, minauderies pour en tester l'effet sur votre silhouette. On vous observe. Un homme? Ici? Dans la file d'attente pour les femmes? Vous levez les yeux pour lui signifier que son attitude est tout à fait scandaleuse et son regard insistant déplacé. Vous n'aurez pas le temps d'armer vos yeux de tout le mépris nécessaire pour ce faire: un visage familer se dessine à quelques centimètres  au-dessusde vous, celui non pas d'un homme mais d'un garçonnet de 3ème qui a poussé un peu trop vite; la figure espiègle de Jeremy qui vous toise et lâche:


_ Bonjour, Madame! Vous allez bien?

Vous vous ressaisissez, la prof qui sommeille en vous reprend le dessus.


_ Jeremy! Qu'est-ce que tu fais là?

_ Ben comme vous, Madame, j'achète des vêtements!

Il a toujours le mot pour rire, Jérémy, le retourneur de chaises en série.

_ Ah oui... mais, Jeremy, ici ce sont les cabines d'essayage pour les femmes. Tu n'as pas le droit de venir ici. Il faut que tu descendes.

Bien joué! Le seul hic (et vous le savez bien) c'est que vous n'êtes plus en cours et que les prérogatives de Jérémy (déjà bien nombreuses en classe) n'ont plus de limite une fois le portail du collège franchi.

_ Mais si, Madame, j'ai le droit! Je viens toujours ici!

Pause.


Réflexion.

Vous décidez d'en finir. "Bon, eh bien bon weekend Jeremy!" Sourire crispé. Vous remettez l'article en place. Vous évitez soigneusement le regard de l'intrus.

A la faveur d'un long weekend, vous parviendrez presque à oublier l'incident mais le sourire évocateur de Jérémy alors qu'il arrivera en retard le mardi, vous renverra à la dure condition d'enseignant...

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